L’autre jour, nous vous avons proposé un article sur les montagnes russes. A cette occasion, ne vous êtes-vous pas posé la question de la pertinence d’un tel sujet sur un site comme Acadégeek ? Depuis quand considère-t-on les montagnes russes comme un sujet « geek » ? Et puis d’abord, qu’est-ce qu’on entend par « geek » exactement ? Dans cet article, je vous introduirai à l’histoire du mot et à ce qu’il englobe.
Depuis 2010, le Petit Larousse a intégré le mot « geek ». Preuve, s’il était nécessaire d’en apporter, de l’importance grandissante de ce mouvement, ou du moins de l’incursion du terme dans le vocabulaire commun.
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geek nom (mot anglo-américain signifiant fou de)
- Fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques.[1]
Afin de comprendre et compléter ces définitions, nous en passerons également par l’étymologie grâce au travail de David Peyron dans son livre Culture Geek, sorti en 2013. La présentation de notre auteur commence de cette façon : « David Peyron est docteur en sciences de l’information et de la communication et titulaire d’un master en sociologie de l’art et de la culture. Il est l’auteur d’une thèse sur la construction sociale de la culture geek (…) Membre de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH) et de l’Association internationale des chercheurs en littérature populaire et culture médiatique (…) ». Son livre se divise en plusieurs chapitres dont le premier, « Les origines du mouvement », s’attache à mettre en place une étymologie complète du mot geek, du Moyen-âge à nos jours. C’est ce chapitre qui va en grande partie illustrer notre propos aujourd’hui.Cette définition décrit « le geek », la personne, mais « geek » existe également en tant que qualificatif et cette acception échappe totalement à Larousse. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de définir ce que signifie « geek », les experts commencent généralement par l’histoire de la personne, du stéréotype aujourd’hui intégré à la culture US aux côtés de la pompom girl et du « jock », ce fan de sport un peu idiot qui aime à martyriser ses semblables.
Étymologie concrète
L’idée est étrange et quelque peu dérangeante. Passer de cet idiot capable de manger des têtes de poulet (c’était la spécialité de ce freak), au « fan d’informatique, de science-fiction et de jeux vidéo » du Larousse semble être un tel grand écart que le rapport est difficile à faire a priori. Laissez-moi, à travers le travail de Peyron, vous mettre sur les rails.
Le geek était une sorte de freak assez mal vu. C’est-à-dire qu’on faisait appel à eux quand vraiment il n’y avait pas d’autre attraction disponible. L’homme sauvage présenté était plus souvent un sans domicile fixe ou un membre de l’équipe du cirque qu’un réel homme des bois tentant de lancer sa carrière. Ce qui a été maintenu de ce personnage, c’est sa capacité à ingurgiter des masses de choses impressionnantes. Inutile alors de vous faire un dessin. Évidemment le terme « geek » a inclus un trait sémantique péjoratif avec une telle histoire. De ce fait, le sens du mot geek est très riche, il est autant l’idiot que le goinfre que le freak. De l’idiot, il a gardé l’aspect péjoratif, du goinfre, la capacité à avaler beaucoup d’informations et du freak sa mise au ban.
Peyron relève que, dans les années 1950 et au-delà, l’acception moderne se fait plus proche. Geek désigne alors une personne obsessionnelle aux préoccupations si pointues qu’elles en deviennent ridicules. On retrouve ce sens dans le vocabulaire de journalistes et d’écrivains tels que Jack Kerrouac et Allen Ginsberg. En anglais, « geek » est presque toujours employé comme un nom. Puisque nous cherchons à comprendre ce qui est geek, il nous faut établir qu’il est possible d’en faire un adjectif qualificatif. Aux États-Unis, on qualifiera plus facilement de « geeky » quelque chose qui « est geek ». Dès lors nous pouvons envisager que c’est le passage de l’anglais au français qui fait que chez nous, le mot de change pas. Comme il s’agit d’un anglicisme, il a été maintenu dans sa forme de base. En anglais on est un geek qui fait des choses geeky. En français, un geek fait des choses geeks.
Très bien. Ce qui est geek est donc devenu ce qui est geeky, ce qui est du domaine du geek. Si on reprend la définition du Petit Larousse, les domaines touchés par le geek semblent être divers : informatique, science-fiction, jeux vidéo, technologies numériques et le merveilleux ajout du « etc ». Le point commun de tous ces domaines ? Le gecken qui, par un léger glissement sémantique, est devenu goinfre plutôt qu’avaleur. L’essentiel est devenu de rassembler beaucoup d’informations sur un domaine précis.
Rapide chronologie postérieure
A la suite de la modernisation du terme « gecken » en geek, Peyron délimite quelques périodes d’évolution. Dont « le tournant « pulp » et technologique des années 1970 », une période propice aux histoires de genre, avec beaucoup d’aventures et des personnages très stéréotypés. Puis « l’émergence d’une culture transmédiatique des années 1980 à nos jours », marquée principalement par Star Wars et la reprise par le cinéma et les jeux vidéo des licences qui ont marqué les premières générations de geek.
Aujourd’hui, « geek » désigne toute une culture, une sous-culture même dira Peyron. Qui a même obtenue quelques lettres de noblesses. Peyron ajoute que « les sous-cultures naissent d’un individualisme qui rapproche ». Le geek est individuel mais la culture geek est née du rapprochement de tous ces individus.
Formules magiquesQuant à la définition moderne, nous trouvons désormais sur des sites comme Urban Dictionary une définition majoritaire du geek qu’on pourrait résumer à « aujourd’hui martyrisé, demain patron ». Si cette définition pose problème, voir à ce propos la polémique qui a suivi la sortie de la vidéo promotionnelle de VH1, elle est de plus en plus ancrée dans les mentalités. Elle est évidemment liée à la réputation intellectuelle des geeks. Cette réputation que l’on retrouvait déjà dans le vocabulaire de Kerrouac, qui désignait ainsi ses étudiants trop zélés.
Voici dès lors quelques formules que l’on peut utiliser pour définir ce qui est geek une fois que nous avons digéré tout ça.
Aujourd’hui, le geek est le passionné, il est capable d’ingurgiter de grandes masses d’informations sur un sujet précis. Pour qu’un sujet soit potentiellement geek il doit être traité par un geek dont l’approche doit contenir certains des traits que nous avons extrait des différentes étapes de notre définition. Une focalisation extrême, une expertise, un imaginaire réinterprété, être geek c’est adopter une attitude générale qui reprend ces aspects (pas nécessairement dans leur intégralité). Les domaines geeks se nourrissent les uns des autres, le jeu vidéo est inspiré du cinéma puis le cinéma du jeu vidéo. Dès lors, n’est-il pas facile de considérer que, de la façon dont en parle Xavier, les montagnes russes sont soudain devenues sujet geek ? Puisque Xavier adopte les traits comportementaux, l’approche du geek, et que est geek (geeky) un sujet qui est traité par un geek à travers le prisme de cette focalisation obsessionnelle, alors les montages russes peuvent également être geeks. Dans cet article, elles l’étaient définitivement.
Attention cependant, cela ne signifie pas qu’un sujet geek sera toujours geek. Le jeu vidéo peut-être casual (c’est-à-dire considéré par des amateurs non passionnés), le cinéma également. Les montagnes russes ne sont d’ordinaire pas geeky mais ici, le contexte a fait qu’elles sont devenues sujet geek, qui plus est traité par des connaissances académiques. Alors, toujours persuadé que les montagnes russes n’ont rien à faire sur Acadégeek ?